Vanessa Desclaux
Anaël Pigeat
Antoine Marchand
Emmanuelle Lequeux
Elisabeth Wetterwald
François Coadou

Texte de François Caodou, 2008

La quotidienneté s’exerce dans les certitudes : je suis moi, tu es toi, le monde est le monde, il est comme il est, et cetera. Mais cette organisation, cette disposition, rassurante, qu’on se crée pour l’habiter, on a tous fait l’expérience, aussi, qu’elle en vient à de certains moments à se fissurer. Il y a des jours où le monde, le toi, le moi vacille. Des jours où on l’on se trouve jeté, comme à nouveau, dans l’infini de l’univers, sans plus savoir où s’accrocher. S’apercevant d’un coup que tout ce en quoi l’on avait cru jusque-là n’était que construction, illusion. Là où l’on croyait être soi, c’est un sujet fragmenté. Et c’est à peine si l’on peut encore l’appeler un sujet. C’est un amas de couches, plutôt, un plein volume de palimpsestes. Impossible à déchiffrer. Voilà bien la rançon de la modernité : celle des philosophies du soupçon (Marx, Nietzsche, Freud). Nous avoir mis sous les yeux de l’esprit, et comme de surcroît, ce que nous ressentions déjà, parfois, par les vicissitudes seules de la vie. La futilité de tout. La vanité des attachements, et d’abord de nous-mêmes.
C’est de cela, je crois, que parlent, à leur manière, les œuvres d’Anne Brégeaut. Parfois, il s’agit, en elles, de célébrer la douceur qu’on trouve à jouer des rôles, à s’oublier, se réifier. Qu’on songe ici, par exemple, à la série intitulée Regarde comme je suis gentille (1994-1995) : gouaches et petites phrases sur papiers, construites sur le principe de la déclinaison, à bien des égards systématique, des gestes, des comportements qu’on peut attendre d’une bonne amante. Mais ce charme – ou ce plaisir, même – qu’il y a de jouer ainsi sa partie, de se conformer au stéréotype, n’est sans doute pas sans mélange aussi, ni ambiguïté. Et l’inquiétude n’est pas loin, on a beau s’efforcer, qui revient toujours. La série Est-ce que tu m’aimerais encore, contemporaine de la précédente (1995), le montre assez : gouaches sur papiers à nouveau, et qui voient s’effacer peu à peu, à mesure que la question se pose et se repose, membre par membre, l’être aimé.
Dans un monde si incertain, peut-être faut-il s’accrocher, dès lors, au détail, au fragment, comme un lambeau. Puisqu’aussi bien c’est tout ce qu’on pourra jamais espérer. C’est ce que suggèrent, du moins, ces petits tableaux, de 2007, qui montrent, comme en plans serrés, des objets du quotidien : paniers, bassines, bancs, pâtés de sable. Comme autant de traces, semble-t-il, de bonheurs enfuis. Et remémorés. Mais la beauté qui s’en dégage est d’une tristesse qu’on ne saurait longtemps arrêter. Ce qui se confirme à regarder les suivantes. 2008. L’angoisse fait retour. Des scènes qui, possiblement, auraient pu être des scènes d’idylle laissent paraître, au grand jour, fêlures et brisures. Un élément trouble chaque fois s’immisce : comme par un jeu presque de collage (plan et arrière-plan) ; ou dans un jeu de langage, stricto sensu, par l’écart du titre et de l’image. Les œuvres d’Anne Brégeaut sont ainsi. Qu’elles soient peintures, objets ou vidéos, il s’en dégage toujours une douceur trouble. C’est la chaise d’écolier de notre enfance, oui, mais elle est encastrée dans le mur, au coin, c’est une impasse. C’est le bruit de la mer, oui, mais les personnages ont beau marcher, le temps passer, ils n’avancent pas. C’est du sucré, oui, en apparence. Mais c’est âpre et c’est dur en réalité.